L'achat (II)

Je n’avais pas consulté l’internet avant de procéder à l’acquisition de cette carafe filtrante, ce qui ne me ressemblait pas et me plaçait dans un inconfort certain.

Certes, mes collègues m’avaient chaudement recommandé la marque et le modèle. Mais depuis quand écoutons-nous des connaissances et leurs conseils au détriment des parfaits inconnus rencontrés sur le Net ? C’est le vingt-et-unième siècle ou quoi ?

Aussitôt mon premier verre d’eau filtré bu, je démarrais le moteur de recherche.

La formulation de ma première requête, quelque chose comme “avis sur carafe filtrante” ne me proposa que des résultats datant de 2007. Il y a deux ans. Quinze ans de vie de chien. Deux siècles sur le Web.

Peut-être est-ce la faute de Twitter, des flux RSS ou du mode push de mon iPhone, mais je ne peux tolérer des informations datées de plus de deux semaines. Les contenus numériques, comme les poissons d’Ordralfabetix, ne peuvent être que frais. Et gratuit, cela va sans dire. Bien beau que je m’intéresse à ce qu’un inconnu peut avoir à raconter sur les carafes filtrantes, il ne manquerait plus que l’on me demande de payer pour cela.

La révolution numérique raccourcit les dates de péremption des contenus qui nous sont proposés. Il y a toujours des pixels plus frais. Des posts inintéressants de blogs plus récents. Des commentaires idiots juste émis. Lire des avis sur ma carafe filtrante postés en 2007 me donne l’impression de demander conseil à Kodak pour acheter une memory card pour mon appareil photographique numérique.

Paloma sait bien qu'elle aura disparu du web dans six mois - et quelque part, cela la déjà rend nostalgique.
Paloma sait bien qu’elle aura disparu du web dans six mois – et quelque part, cela la déjà rend nostalgique.

Je voulais des avis d’internautes inconnus, je me retrouvais à lire les testaments d’une civilisation bientôt disparue. Il faudra en toucher un mot à tous ces gens qui s’occupent de l’internet et qui, régulièrement, nous propose des normes et des machins auxquels je n’entends pas grand’chose. L’Internet devrait s’effacer tous les six mois. Quelle est la pertinence de ce qui est plus vieux ? C’est daté. Ne sommes-nous pas suffisamment nombreux pour réécrire régulièremenr l’internet ? On garderait quelques références, Wikipédia, le site du Parlement européen, les catalogues des sites marchands. Pour le reste, rideau, effacement garanti. 

Figurez-vous que les blogs des jeunes générations obéissent déjà à ce principe. Les skybloggeurs tant décriés publient moins de dix posts, qu’ils mettent à jour en en remplaçant, de manière séquencée, leurs contenus. Ceci explique que des skyblogs ne jouissant que d’une audience confidentielle (mais qui est quand même au moins triple de celle de ce blog) réussissent cependant à réunir des centaines de commentaires sous les posts. 

Monsieur Lâm explique ceci bien mieux que je ne saurais le faire. 

C’est donc la prochaine étape : l’Internet à effacement permanent. Sacrifions à la manière des cancers les équivalents numériques des vieillards africains. Quand un vieillard meurt, en Afrique, c’est une bibliothèque qui brûle. Mais le savoir daté des ancêtres du web, de tout ce qui a été publié il y a plus de six mois ne saurait nous intéresser. Soyons des adeptes de Kundera « Rien ne sera pardonné, tout sera oublié ».  Attisons un feu permanent sous le code html. On appellerait cela “l’Internet poisson-rouge”, “Golden fish Web 4.0”. 

L’Internet à mémoire limitée. 

Des pans entiers de la culture de l’humanité disparaîtrait peu à peu parce que la collectivité des égos publiant sur Internet déciderait de manière profondément subjective et en fonction des capacités et des centres d’intérêt de chacun, de ce qui doit être conservé, donc régulièrement et constamment réécrit. Palimpseste mondial en entretien permament. Il y a peut-être même un moyen de résoudre le problème du chômage ici. 

La collectivité des égos. Il faudrait un nouveau pronom personnel, un nouveau “nous” exprimant le rassemblement pluriel sans affinité tant l’autre, finalement, ne nous intéresse qu’au prorata du temps qu’il daigne consacrer à notre production mise en ligne. Pour le reste, qu’il crève, et non je n’irais pas voir ton blog, il y a déjà trop de temps à perdre sur Internet. Ce “nous”, donc, en charge de la réécriture permanente de l’Internet, ne tarderait pas à se lasser et des monceaux de notre culture disparaîtraient. 

La question est : quelle part de la culture collective contemporaine survivrait à un effacement inexorable et permannet de l’Internet ? Mozart ou la télé-réalité ? Le loft ou Schopenauer ? Ceccaldi ou Effira ?

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