Je commence l’apprentissage d’une nouvelle langue vivante, à raison de quatre heures de cours par jour et deux heures de devoir par soir.
Pour rajeunir, rien ne vaut de redevenir un élève. J’ai perdu trente ans et tout le vocabulaire qui va avec. Nous sommes quinze adultes assis autour de tables en fer à cheval et nous possédons collectivement la capacité d’expression d’enfant de quatre ou cinq ans.
- Moi vouloir devenir prince ou pompier.
- Moi vouloir princesse être.
- OK. On baise ?
Le cours tient davantage du goûter pour enfants en terre étrangère, exceptés que nous sommes des grandes personnes. Il ne manque que les déguisements pour que cela tourne à la partie fine. Ce n’est pas le but recherché. Nous sommes là pour découvrir un nouveau continent linguistique, des cheptels de créature de rêve n’attendent que mes déclarations enfiévrées dans leur langue natale pour qu’elles se jettent sur moi, qu’elles m’admirent, qu’elles me tuent, qu’elles s’arrachent ma vertu.
En attendant, nous remplissons des textes à trous, nous récitons des listes de vocabulaire, le soir, avant de nous endormir. Le professeur souffre. Chaque fois que nous prenons la parole, c’est à lui de décoder ce que nous essayons de dire de manière malhabile. Que de trésors de perspicacité et de concentration pour comprendre nos babillages, desquels il ressort que Paloma porte une robe rouge, que son frère s’est fait refaire le nez, que sa grand-mère sent des pieds.
Chaque matin, il nous faut exprimer comment nous allons, façon thérapie gestalt, raconter ce que nous avons fait la veille, en essayant bien sûr de réutiliser le vocabulaire, les tournures, apprises la veille. Comme nous sommes nombreux dans ce cours, c’est parfois la seule chance de pratiquer un tant soit peu notre nouveau langage. De salle de classe en salle de classe, certains comportements ne changent pas. Il y a les élèves que cela gonfle vegra, franchement, il est trop lourd ce prof, il y a les forts en thèmes qui nous racontent par le menu leur soirée télé, révisions et quenelles aux lardons. Il y a moi, qui rédige, au crépuscule ou à l’aube, dix lignes de texte pour amuser, interloquer, surprendre le professeur. Je les lis sans trop anônner, ne comprend souvent pas la moitié de la question qu’il me pose pour lancer la discussion, mais, satisfait, je le vois sourire et constater que, au moins, je fais l’effort.
Je n’ai pas traversé ma scolarité sans effort. Ce furent, au contraire, des compagnons de tous les jours. J’appartiens aux laborieux, ceux dont on ne dit pas qu’ils pourraient mieux faire : nous sommes déjà au taquet. On ne s’émerveille pas de notre intelligence, parce qu’il n’y a vraiment pas de quoi, mais on ne peut nier nos efforts, notre travail.
Le vocabulaire et le culot me manquent pour en faire de petits numéros artistiques, des déclarations dadaïstes ou provocatrices, histoire de secouer le prunier de la conformité de mes camarades de classe qui, sitôt que la cloche a sonné, redeviennent des collègues de bureau (tous, à l’exception de la Petite, appartiennent à des départements fort éloignés), donc des sources de problèmes sans fin. Des nids à emmerders.
- Louis, comment ça va aujourd’hui ?
- Bien, très bien. Toujours pas de grippe A(H1N1).
- Qu’est-ce que tu as fait hier soir ?
- J’étais fatigué, alors j’ai surfé sur YouPorn. Comme les dernières vidéos de Sasha Grey m’ont bien chauffé, j’en ai montré quelques-unes à ma femme en lui proposant de faire pareil. On s’y est mis sur le canapé et on a réussi une double-péné avec sa brosse à cheveux comme accessoire.
- C’est bien ça. Attention : « double-péné », c’est à l’oral seulement, hein. Mais ça passe. C’est dans le langage courant, maintenant.