Exposer son identité en ligne, par exemple en bloggant, en commentant dans les forums, en postant ses photos sur Flickr ou Picasa, en twittant les micro-instants de son existence, atteint le niveau d’une contrainte sociale douce. Ce n’est plus avant-gardiste que pour quelques administrations publiques, quelques grandes entreprises d’obédience paternaliste et, j’imagine, pour des corps de métier assez éloignés de l’univers des nouveaux médias. Y-a-t-il beaucoup de plombiers blogueurs ? Sans doute pas assez, comparé au nombre de mères au foyer sévissant sur Ladies room, par exemple.
Pour le reste, l’incitation à aller se faire mettre en ligne est constante. Photographies de vacances, de soirées entre amis ou des enfants se doivent d’être accessibles. “Crée-donc un blog !” est certainement le conseil inutile le plus souvent formulé à l’adresse des chômeurs, des aspirants artistes et écrivains (j’en fais partie), des oisifs de bureau, des inactifs se cherchant un hobby valorisant, de toutes ces populations en mal de reconnaissance, au mieux, de revenus, au pire.
Il y a dix ans, on leur suggérait de créer un site Internet. C’était la même chose, en plus chiant, techniquement s’entend. C’était un conseil moderne, à la pointe, absolument idiot. A l’époque, il fallait vraiment avoir quelque chose à dire, à montrer, à partager, pour se coltiner le code html, Dreamweaver ou, mon Dieu, Frontpage. La plupart du temps, le résultat était moche – mais il y a bien eu six mois où cela garantissait une certaine visibilité. Tous les magazines, les quotidiens, écrivaient sur l’Internet, c’était très chouette, on buvait du champagne dans des fêtes en regardant des présentations Powerpoint abêtissantes et en louchant sur les décolletés des jeunes attachés de presse.
Ça y est, je deviens nostalgique.
En 2009, créer son blog sous son vrai nom présente un risque majeur : celui de perdre le bénéfice du doute. Tout le monde devient en mesure de se rendre compte à quel point vos écrits, vos photographies travaillées sous Photoshop, vos compositions Garage Band, toute cette production narcissique normalement réservé à un public restreint, quand il n’est pas existant, même les chats se lassent des lectures de journaux intimes, est en réalité, au mieux, médiocre.
C’est pourtant en passe de devenir presque obligatoire. Il y a des ilots protégés, par tranche d’âge ou par catégorie socio-professionnelle, mais pour combien de temps ? Les moins sots d’entre nous résistent. J’ai d’excellents amis qui ne sont ni sur Facebook, ni sur Twitter.
Bien sûr, le miracle se produit parfois : un talent, jusqu’alors inconnu, se révèle. La claque. Un blogueur avec du style, un photographe avec une vision, un musicien avec une oreille. Pour être honnête, cela ne m’est pas arrivé depuis longtemps.
Je reste fidèle aux mêmes blogueurs depuis trois ou cinq ans. Nora, Binnie, Elixie, BienBienBien, Pénélope, Boulet, Lewis Trondheim, Scott Adams. Des valeurs sûres. Il y en eût d’autres, mais ils ont arrête de poster (Sof de Zerotom, par exemple), la flemme s’installe, on ne vérifie plus les RSS ni les sites. Et même parmi ceux-ci, j’ai beau cliquer sur les liens, checker les pages de leurs potes, recommandations… Pas grand’chose ne sort du lot.
Je vous assure que, pourtant, surfer sur les blogs fait partie intégrante de ma job description.
Fi du miracle et des improbables talents : la découverte des productions en ligne, le plus souvent, déçoit. Mes collègues de bureau ont raison de ne pas nous informer de l’existence de leurs blogs. L’habitude d’effacer leurs traces dans leur navigateur renforcerait cette juste modestie et nous épargnerait ce sentiment pénible de vacuité peinée qui frappe tout lecteur découvrant l’inanité des pensées et réflexions de ses connaissances.
Le doute est précieux. Quelle que soit l’image que les autres peuvent avoir de vous, même les plus intimes, elle est fragmentaire. Nous n’endossons peut-être pas tous des rôles en fonction de nos contextes sociaux – et si tel n’est pas votre cas, vous avez bien de la chance, soit dit en passant – mais nous nous comportons différemment. Il subsiste toujours une part de mystère, précieuse, que la mise en ligne de sa production dévoile au grand jour. Non, nous n’avons pas tous envie de vous voir en slip de bain, si vous voyez ce que je veux dire.
Je suis un fervent défenseur du pseudonyme sur Internet. Un farouche partisan du droit de faire ce qui nous plait lorsque l’on est connecté, de surfer sur des sites inimaginables ou glauques, techniques ou divertissant, sans qu’une quelconque autorité ne puisse le savoir, l’enregistrer, s’en servir.
Parole d’un garçon qui a grandi dans un petit village avec un seul marchand de journaux.